mardi 3 février 2009

Poker et Lemon Socialism

L'autre jour, je jouais au poker entre amis. Texas Hold'em, pas d'argent en jeu*...

*je sais, je sais...


On est au milieu de la partie. Je me retrouve au flop avec paire max (Q), kicker max (A). N'étant plus que trois en jeu, avec un beau pactole déjà au pot, je décide de miser fort, ayant peur d'une éventuelle couleur (2 trêfles au flop). Etant très riche à ce moment de la partie, je n'ai pas de problèmes pour donner une cote défavorable à un tirage couleur, ce que je fais. Et là, alors que c'est à lui de miser, le joueur à ma gauche demande: "si on se fait éliminer, on peut recaver?"... En l'occurence, pas d'argent en jeu, on l'a fait à 2 reprises jusqu'ici donc difficile de dire non... Etant assuré de pouvoir continuer à jouer, le joueur de gauche suit...


En effet, ici, on a assuré au joueur B qu'il touchera ses gains, mais également que s'il perd, c'est la banque qui le couvrira, il n'a donc plus rien à perdre...


Cette petite main montre 2 choses: 1) Jouer au poker sans argent est totalement dénué d'intérêt. 2) Quand on garantit nos pertes, on accroît nos risques.


Revenons à la main.


A possède une paire, B n'en possède pas. Pour que B gagne, il faut qu'il touche une couleur. On suppose ici que les mains sont connues de B, ce qui est probablement le cas vu le déroulement du coup et la façon ultra-classique dont a joué A sur cette main. Il a donc 33% de chances de gagner (un petit peu plus je crois, je ne me souviens pas du chiffre exact).


Le pot est de 100$ (mettons). Le joueur A veut effrayer les tirages couleurs. Il veut donc miser X$ de telle sorte que l'espérance de B s'il suit est négative (pour le faire sortir). Il cherche donc à résoudre: E1(X) = 33% x (100+X) - 66% x X <> 100, disons 200.


En temps normal, B décide donc de ne pas suivre pour X = 200$.


Oui mais voilà, on assure à B le fait que s'il perd son tapis, on le recave gratuitement et directement. Sa fonction d'espérance n'est donc plus la même.


Son espérance de gain devient, sans aucune démonstration, vous me la demanderez si vous voulez: E2(X) = 33% x (100 + X) - 66% x MAX( 0 ; MIN( Tapis - cave assurée; X ) ).


Bon, si on calcule et tout, on se rend compte que E2(X) > E1(X) pour tout X. Ca, on s'en doutait un peu, si on assure ses pertes, le joueur gagne plus en espérance... Là où c'est marrant, c'est que E2(X) est croissante pour X > Tapis - cave assurée... Même, E2(X) tend vers l'infini pour X -> +infini !!


Vous l'aurez compris, dans le cas 2, le joueur B est incité à prendre beaucoup plus de risques (ie: à payer pour X très grand). Pire, il a même intérêt à relancer très fort à chaque fois (E2(X) tend vers l'infini!)!


Parlons maintenant de Lemon Socialism.


Le
Lemon Socialism, c'est quand l'Etat nationalise les entreprises qui font faillites (les lemon) et laisse les entreprises qui marchent au privé. En gros, tous les profits sont laissés au public, toutes les pertes sont prises par l'Etat. C'est un peu ce qui se passe à chaque fois qu'une grosse entreprise fait faillite (Freddy Mac, Bear Stearns...), généralement pour protéger les emplois ou ne pas déstabiliser l'économie ou encore conserver le contrôle dans certains secteurs industriels clés.


Un peu comme dans notre exemple de poker en fin de compte, si le joueur B gagne, c'est lui qui empoche, s'il perd, c'est la banque qui paye.


A la limite, ceci ne serait pas trop grave si l'espérance agrégée (Public + Privé) était positive.


Revenons à notre joueur B.


Espérance joueur B + banque dans le cas 1, c'est simple, E1ag(X) = E1j(X) + E1b(X) = E1(X)
Espérance joueur B + banque dans le cas 2: E2ag(X) = E2(X) + E2b(X)


En fait on montre (mais on ne le fait pas ici) que E2ag(X) = E1ag(X).


Cela veut-il dire que d'un point de vue agrégé, les deux solutions reviennent au même?
Non, car ici, on n'a calculé que l'espérance agrégée dans le cas où le joueur B décide de payer, or, dès que l'espérance du joueur devient négative, il ne joue pas. Dans le cas 1, cela revient à dire que pour X > X1 (100$ dans l'exemple), l'espérance E1ag(X) vaut 0 (le joueur ne joue pas). Or, on a montré que pour X > X1, l'espérance du joueur B dans le cas 2 (E2(X)) est positive! donc il joue encore. Or cette fois, E2ag(X) devient négative.


Ce qui se résume comme cela. Pour des petites valeurs, dans les premier cas, l'espérance agrégée sera toujours positive, dans le deuxième cas, l'espérance agrégée sera calée sur le premier cas pour X > X1 et sera négative au-dessus! D'un point de vue agrégé donc, le cas 2 ne présente jamais de meilleurs retours mais peut en revanche présenter des retours inférieurs!


C'est une des raisons pour lesquelles les Etats ne peuvent pas renflouer TOUTES les banques qui font faillite (ie: Lehmann). Sinon, on rentre dans le deuxième cas présenté avec l'exemple du poker, dans une Lemon Socialism. Si la garantie n'est pas acquise, on reste dans le cas 1. C'est plus ou moins la raison pour laquelle (entre autres) Lehman Brothers n'a pas été sauvée.


Vous pourrez me reprocher le fait de n'avoir pas intégrer les impôts et taxes dans mon modèle. C'est vrai. En même temps, si ces taxes font baisser l'espérance de gain du joueur B et réduisent l'espérance de perte de la banque, on remarquera que ceux-ci ne changent en rien l'espérance agrégée (je vous épargne les calculs, pas que je sois gentil mais plus par fainéantise!). Cela ne veut pas dire que les impôts ne servent à rien (faut pas déconner non plus!), mais dans ce modèle, ce ne sont que des transferts, ils ne changent en rien la conclusion, alors pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple?


En conclusion: Jouer au poker sans enjeu, non seulement ça n'a aucun intérêt, mais en plus c'est pas bien (ça c'est de la conclusion comme je les aime).


En parallèle, le Lemon Socialism n'est pas un modèle sain (sérieux?) et même s'il est parfois nécessaire de sauver de la faillite certaines entreprises pour des raisons politiques et dans des circonstances exceptionnelles, cela ne peut pas être un bon modèle de le faire systématiquement.


Choubi.

Petites précisions pour ceux qui suivent: à un moment, je dis que E2(X) tend vers + infini pour X -> + infini. Bien évidemment, cela n'a pas grand sens étant donné que X est borné par le tapis au poker. Toutefois, l'importance ici était de montrer que la fonction était croissante à partir d'un certain point et que pour certaines valeurs de tapis et de cave garantie, la meilleure espérance peut être trouvée pour X = tapis. All in en sorte. L'idée étant que pour les valeurs où ce ne sera pas le cas, le cas 2 ne proposera jamais une plus petite espérance que le cas 1 pour le joueur et jamais une meilleure espérance agrégée.
Pour les fans de poker: Désolé, je n'ai pas parlé de cotes implicites, stratégie de tournoi avec recave, sans recave, stratégie de gros tapis, petit tapis et tout plein d'autres bonnes raisons de jouer avec une espérance négative. Ici, on suppose qu'on ne joue que la côte, point.

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